Saviez-vous qu’à partir du XIIIe siècle la grammaire latine s’apprenait en vers ?
Au tournant des XIIe/XIIIe siècles, apparaissent les premières grammaires versifiées, le Graecismus d’Évrard de Béthune et le Doctrinale d’Alexandre de Villedieu. Leur forme est censée favoriser la mémorisation des règles de grammaire, surtout de morphologie pour le Graecismus, mais aussi de syntaxe. C’est particulièrement le cas pour le Doctrinale, qui restitue l’essentiel de Priscien et des chapitres sur les figures de Donat. Les élèves y apprenaient par exemple à distinguer les homonymes au moyen de leur flexion, par des vers comme Lens mordet per ‘d’, mordetur si capiat ‘t’ (on dit lens, lendis pour la lente qui mord, lens, lentis pour la lentille qui se mange) mais aussi les régime des cas, des prépositions, le détail des constructions, etc. Ces versifications sont rapidement équipées d’abondantes gloses marginales, qui restituent de manière plus accessible l’arrière-plan doctrinal dont elles sont issues.
Vu le succès foudroyant du procédé, quelques contemporains, comme Jean de Garlande ou Conrad de Mures, s’y essaient vers 1230/1240, mais le créneau didactique paraît déjà saturé. Les deux monuments restent donc maîtres du terrain (plus de 250 manuscrits conservés pour le Graecismus, plus de 450 pour le Doctrinale), et gagnent toutes les structures d’enseignement : écoles cathédrales, universités, collèges, petits collèges puis collèges d’exercice. Tous deux donnent lieu, accompagnés de leurs gloses du XIIIe siècle, à un nombre élevé d’impressions. C’est sur ce terrain que triomphe le Doctrinale, imprimé jusque dans les premières décennies du XVIe s. (260 éditions), ce qui lui permet d’influencer le grammairien Despautères et, à travers lui, Claude Lancelot.
C’est au Doctrinale que l’on doit l’apparition de nos « classes », au collège Montaigu en 1509 (le « collège de pouillerie » de Rabelais, place du Panthéon), suivant les principes instaurés par son principal Jean Standonck. Accompagné de lectures adaptées, le manuel y est découpé en sept tranches par ordre croissant de difficulté, chaque tranche étant enseignée à un ensemble d’élèves de niveau homogène, ce qui constitue une révolution pédagogique (M.M. Compère, Du collège au lycée, Paris, 1985, p. 24-25).
Ressources
Sur le Graecismus et ses 4579 hexamètres dactyliques, voir https://ctlf.huma-num.fr/n_fiche.php?n=525
Sur le Doctrinale et ses 2645 vers, voir https://ctlf.huma-num.fr/n_fiche.php?n=524
Anne Grondeux
5 octobre 2022
Bravo, Anne, pour cette fiche modèle;
On espère qu’il en arrivera plein d’autres.
Je repense tout à coup au vers
“Tot tibi sunt dotes, Virgo, quot sidera cælo”
à propos duquel Donald E. Knuth, à la page 62 du Fascicule 4 (ISBN 0-321-33570-8) du Volume 4 de son TAOCP (The Art Of Computer Programming) a un développement très intéressant. dans une section intitulée “Permutable Poetry”, qui fait partie d’une longue section (pp. 48-73), sur l’histoire de la science des combinaisons.
C’est une tragédie, pour l’histoire de toutes les sciences, quand la connaissance de la /Lingua Franca/ Scientifique d’une époque antérieure se perd.
Merci Anne de nous le rappeler par ce bel exemple.
— Jean-Luc