Le saviez-vous #22

Saviez-vous pourquoi le bâtiment Kroeber Hall à Berkeley a été débaptisé ?

En janvier 2021, le bâtiment Kroeber Hall de l’Université Berkeley en Californie, qui abritait le département d’anthropologie et de création artistique, a été débaptisé. Ce bâtiment avait été nommé du nom de l’anthropologue américain Alfred Kroeber (1876-1960) en 1960, juste quelques mois avant son décès. Trois autres bâtiments de l’université – Boalt Hall (droit), LeConte Hall (sciences physiques), Barrows Hall (sciences sociales) –, ont connu le même sort. En effet, les noms qu’ils honoraient convoyaient des idées racistes en opposition avec les valeurs d’inclusion et de promotion de la diversité soutenues par l’université. Un comité des noms de bâtiment avait établi que Kroeber représentait un symbole de la discrimination envers les autochtones américains, et que son nom porté sur un bâtiment de l’université constituait une offense envers ces derniers. Il était reconnu coupable d’avoir collecté et détenu pour des fins de recherches des restes humains de diverses populations autochtones, d’avoir retenu au Musée d’anthropologie un autochtone Yahi, nommé Ishi, de l’avoir utilisé comme exposition vivante et de lui avoir inculqué des insultes racistes envers les asiatiques et africains américains, et enfin d’avoir entraîné la privation de territoire et de pouvoir à la population Olhone en déclarant leur culture éteinte.

Andrew Garrett, auteur de l’ouvrage The Unnaming of Kroeber Hall (2023), conçoit que « ce nom faisait du mal à ceux qui doivent se sentir les bienvenus », mais montre que Kroeber a œuvré toute sa vie à défendre les intérêts des autochtones américains et contribué par son travail de collecte documentaire à rassembler des matériaux d’une grande valeur pour les chercheurs, mais surtout pour les autochtones. Ne se limitant pas à un répertoire traditionnel, Kroeber a recueilli dans ses carnets et dans des enregistrements sonores, des textes de types divers (récits d’expérience, chansons, conversations, lois, savoir géographique, etc.) auprès d’une douzaine de communautés en Californie et ailleurs, qui sont aujourd’hui utilisés par les communautés dans des démarches de restitution des terres, de re-baptisation des lieux, de réappropriation culturelle et historique. Kroeber a participé à former certains de ses collaborateurs autochtones – notamment Juan Dolores (O’odham), Gilbert Natches (Numu) et Robert Spott (Yurok) – à l’écriture de leurs propres textes, à l’analyse linguistique et ethnographique. Il a enfin formé une génération d’ethnologues-linguistes (dont de nombreuses femmes) qui ont documenté plus d’une soixantaine de langues, et dont les notes et enregistrements sont disponibles à l’université Berkeley au sein du fonds California Language Archive (anciennement Survey of California and Other Indian Languages, qui avait été fondé par Mary Haas et Murray Emeneau en 1952).

Kroeber n’était pas absolument libre de mener les recherches qu’il souhaitait dans un département d’anthropologie largement orienté vers les recherches archéologiques, et dont les membres étaient incités aux pillages et aux vols afin de remplir les collections de son Musée. Ce Musée avait été fondé en 1901 par Phoebe Hearst (mère de William Randolph Hearst), philanthrope et collectionneuse effrénée d’objets d’art et d’objets culturels, qui le dirigeait et qui soutenait financièrement les recherches des anthropologues de l’université de Californie.

La contribution de Kroeber dans l’histoire de l’anthropologie linguistique, son engagement auprès des autochtones, n’est pas ce qui a été retenu par ceux qui ont souhaité la disparition de son nom, devenu injustement un symbole des offenses du monde académique envers les autochtones. En revanche, le Musée d’anthropologie de Berkeley, rebaptisé depuis 1991 Phoebe Hearst Museum of Anthropology, tarde à restituer aux autochtones les objets qui leur ont été volés. 

Chloé Laplantine
8 octobre 2024

Bibliographie

California Language Archive. [En ligne : https://cla.berkeley.edu/, consulté le 30/09/2024]

Garrett, Andrew. 2023. The Unnaming of Kroeber Hall. Language, Memory, and Indigenous California. Cambridge : MIT Press.

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