All day
20 mai 2022
Les participants à cette journée d’études internationale se proposent de mettre au centre des réflexions le « Notre Père », abordé dans sa dimension textuelle, matérielle, à la fois en tant qu’outil linguistique et objet de savoirs.
La prière, avec ses sept versets, est tirée des Évangiles, de Mathieu (Mt 6, 9-13) et de Luc (dans une version plus brève encore, Lc 11,1‑4). Court, le texte n’en est pas moins riche — d’une richesse liée à ses sens et interprétations multiples, l’ayant conduit à être remis sans cesse sur l’atelier des traducteurs ; une richesse liée également à ses usages diversifiés, bien au-delà du seul contexte religieux. Sera
donc étudié le caractère éminemment protéiforme de l’oraison dominicale et de ses utilisations, dans ses dimensions linguistique, savante, sociale et politique, et en particulier à travers les transformations qu’elle subit au cours de ses circulations.
Le Pater Noster fait partie de ces textes comprenant des « intraduisibles », que l’on « n’a jamais cessé de (ne pas) traduire » (B. Cassin). Ils sont visibles dans les traductions depuis l’hébreu et le grec vers le latin puis vers les langues vernaculaires européennes. Mais l’oraison s’intègre aussi au corpus des premiers textes traduits, avec le « Credo », le « Je vous salue Marie » ou encore les « Articles de la foi », dans les catéchismes et doctrines des territoires nouvellement évangélisés, à partir du XVIe siècle. Il est un des premiers extraits des Écritures par lequel les traducteurs, missionnaires et autochtones, se confrontent aux problèmes de la traduction de la doctrine chrétienne dans des langues diverses. Cela le constitue par conséquent en un outil linguistique privilégié, et ce à plusieurs niveaux.
Le premier prend donc place sur les terrains missionnaires, dont les interventions de la journée présenteront des exemples tant asiatiques qu’américains. Comment le texte y est-il trituré, découpé pour être traduit, ligne à ligne, mot à mot, en intégralité ou en y laissant des termes en langues européennes, voire en latin ? Comment, dans certains cas, la traduction y prend-elle des formes intersémiotiques, recourant aux images, avec de possibles emprunts à des systèmes d’écriture logographiques, voire en matérialisant la prière sous forme d’objets, mnémotechniques ? Comment, autour du texte, se rassemblent missionnaires et missionnés, et quels échanges s’y nouent ?
L’oraison apparaît ainsi également, à travers ces interactions sociales, comme un instrument utilisé par les Européens pour apprendre la langue du pays de la mission, et le texte retrouve d’ailleurs à cette occasion une autre de ses facettes, celle d’exemple récurrent des manuels d’apprentissage de la lecture.
Par ailleurs, la prière circule depuis ces terrains vers les cabinets européens, avec parfois des allers-retours entre ces deux types d’espaces. Disponible dans des idiomes divers, elle se transforme en effet, dès le XVIe siècle, en un des échantillons de choix de la collecte des langues. Du Mithridates de Conrad Gessner en 1555 au Mithridates d’Adelung et Vater en 1806-1817, en passant par les ouvrages de Megiser, Duret, Müller, Schultze etc., le texte est érigé en outil de comparaison des langues. Il devient objet de collection, échangé d’un texte à l’autre, repris d’une collection de Notre Père à l’autre, imprimé, découpé, copié-collé… et alors que les auteurs tentent aussi, quand ils le peuvent, de se procurer l’échantillon le plus rare au sein d’accumulations d’oraisons de plus en plus touffues. La journée sera l’occasion, à travers plusieurs études de cas, d’aborder en détails ces collections.
Programme de la journée à télécharger
Site web du projet ANR IndesLing